Chronique de Ploubazlanec (1914-1918) : Différence entre versions
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Au début de la guerre, par suite de l'arrêt du trafic commercial, il y eu dans la commune une baisse générale sur la viande, le poisson, etc. On vit des crustacés : homards, langoustes à 2 ou 3 francs pièce. En revanche, les ménagères s'empressèrent à qui mieux mieux d'accumuler des provisions de sucre, de café.<BR> | Au début de la guerre, par suite de l'arrêt du trafic commercial, il y eu dans la commune une baisse générale sur la viande, le poisson, etc. On vit des crustacés : homards, langoustes à 2 ou 3 francs pièce. En revanche, les ménagères s'empressèrent à qui mieux mieux d'accumuler des provisions de sucre, de café.<BR> | ||
− | En fait de nourriture, la population a spécialement pâti en 1918. | + | En fait de nourriture, la population a spécialement pâti en 1918. En effet, l'année dernière, à l'époque des restrictions , le pain que nous achetions était presque immangeable et à causé de nombreuses maladies de l'appareil digestif. En outre, le ravitaillement de la commune en farine était tout à fait insuffisant. Il fallait faire la queue à la porte des boulangeries, souvent pendant une demi-journée, pour avoir une miche ou un morceau de pain.<BR> |
Mais tous les clients ne pouvaient être servis et bons nombre de personnes se voyaient obligées de se rendre dans les communes avoisinantes, parfois même à plus de 20 km de distance, pour obtenir ce précieux aliment.<BR> | Mais tous les clients ne pouvaient être servis et bons nombre de personnes se voyaient obligées de se rendre dans les communes avoisinantes, parfois même à plus de 20 km de distance, pour obtenir ce précieux aliment.<BR> |
Version du 23 janvier 2014 à 19:13
Commune de Ploubazlanec - Événements de guerre
École publique de garçons de Ploubazlanec
Canton de Paimpol
L'instituteur
Y. Le Roux
Sommaire |
Plourivo
Le 1er août 1914, je jardine. Tout à coup, le tocsin sonne. Je délaisse mes outils aratoires et me rends rapidement sur la place du bourg.
Un gendarme de la brigade de Paimpol entre à la mairie pour y déposer l'ordre de mobilisation. Mais l'agent de la force publique est tellement émotionné et énervé - il doit rejoindre son régiment le lendemain et il n'a pas dormi depuis plus de 48 heures - qu'il ne peut écrire.
Je rédige son procès-verbal. Quelques signatures de pièces officielles et le voilà qui enfourche sa bicyclette et se dirige vers Yvias
L'adjoint faisant fonction de maire, le secrétaire de mairie et moi, nous placardons les affiches et prenons toutes les dispositions nécessaires pour que la mobilisation puisse s'effectuer régulièrement dans la commune.
De toutes les directions, les gens s'acheminent vers le bourg. La place est bientôt remplie. Tout le monde paraît atterré : les femmes et les enfants pleurent abondamment, les hommes refoulent stoïquement leurs larmes.
Le lendemain, 2 août, premier départ des mobilisés. Après un dernier "au revoir" à leurs proches, ils partent le coeur gros, mais décidés à faire leur devoir.
Ploubazlanec
Vers la mi-août, je rejoins Ploubazlanec où l'Administration vient de me confier la direction de l'école de garçons.
Au début de l'offensive allemande, on se demandait avec inquiétude, surtout dans notre région maritime, "Et l'Angleterre, que va-t-elle faire?". Sans la protection de la flotte anglaise, notre littoral paimpolais aurait indubitablement souffert des horreurs de l'invasion, notre flotte de la Manche et de l'Océan était notoirement insuffisante pour arrêter les vaisseaux ennemis.
Aussi, ce fut un soulagement général quand la Grande-Bretagne pour venger la violation de la Belgique se rangea de notre côté et prit part à la lutte.
Les événements se précipitèrent. Après nos premiers succès en Alsace, l'avance rapide des allemands en Belgique, la bataille de Charleroi, la retraite de nos armées et l'invasion du territoire étreignent tous les coeurs.
Les atrocités allemandes soulèvent une indignation générale et engendrent une haine féroce contre "le Boche". On attend avidement les communiqués officiels, mais on garde l'espoir. Joffre et ses vaillants soldats ne sont-ils pas toujours sur la brèche!.
La victoire de la Marne en refoulant le flot germain rendit confiance aux pusillanimes et aux pessimistes.
Administration communale
L'administration communale ne souffrit point du départ de certains membres de la municipalité (9 mobilisés dont 1 tombé au champ d'honneur). Le maire et les adjoints, trop âgés pour être mobilisés, et le secrétaire de mairie, réformé, continuèrent leurs fonction.
Toutefois, l'hiver dernier, (fin 1918), la situation changea. Une terrible épidémie de grippe infectieuse sévissait dans la commune. (Il y eut jusqu'à 600 malades et 6 décès par jour). Les écoles durent être fermées jusqu'au 1er janvier 1919. Le maire était décédé et les adjoints incapables, par suite du manque d'instruction, de s'occuper sérieusement des affaires publiques. Le secrétaire de mairie à qui incombait toute la besogne administrative fut atteint très gravement à son tour et obligé de s'aliter pendant un mois.
La vie municipale allait être arrêtée. Comment remédier à cette situation? Je n'hésitai point. Mon devoir était tout trouvé : puisque l'école était fermée, je devais prendre en mains - sinon en titre, du moins en fait - la direction des services communaux.
La salle de la maison commune était un foyer d'infection grippale où, du matin au soir, défilent parfois des centaines de gens contaminés. Qu'importe! J'y travaillais sans relâche (le dimanche comme les autres jours), m'occupant de tout : état-civil, correspondance administrative, ravitaillement et services divers.
Personne ne m'aida. Chacun préférait s'occuper de ses intérêts personnels et gagner de l'argent.
Ordre public
L'ordre public n'a pas été troublé pendant toute la durée des hostilités et pourtant l'unique agent de la police communale, le garde-champêtre, était mobilisé. Très peu de délits ordinaires. Aucun fait d'espionnage. Mais les habitants conservaient néanmoins une certaine défiance envers les étrangers. "Sus aux espions et aux traîtres", tel était le mot d'ordre bien qu'il ne circulât pas de bouche en bouche.
Vie économique
Au début de la guerre, par suite de l'arrêt du trafic commercial, il y eu dans la commune une baisse générale sur la viande, le poisson, etc. On vit des crustacés : homards, langoustes à 2 ou 3 francs pièce. En revanche, les ménagères s'empressèrent à qui mieux mieux d'accumuler des provisions de sucre, de café.
En fait de nourriture, la population a spécialement pâti en 1918. En effet, l'année dernière, à l'époque des restrictions , le pain que nous achetions était presque immangeable et à causé de nombreuses maladies de l'appareil digestif. En outre, le ravitaillement de la commune en farine était tout à fait insuffisant. Il fallait faire la queue à la porte des boulangeries, souvent pendant une demi-journée, pour avoir une miche ou un morceau de pain.
Mais tous les clients ne pouvaient être servis et bons nombre de personnes se voyaient obligées de se rendre dans les communes avoisinantes, parfois même à plus de 20 km de distance, pour obtenir ce précieux aliment.
Par bonheur, les pommes de terre n'ont jamais fait défaut. Je connais des personnes qui ont dû s'en nourrir exclusivement pendant quatre jours.
Les consommateurs se sont encore plaints parce que les taxes sur le lait et le beurre n'étaient nullement appliquées.
Les cultivateurs n'étant l'objet d'aucune surveillance efficace, vendaient ces produits au taux qui leur plaisait.
Le lait, taxé 30 ou 40 centimes, se vendait couramment 50, 60 et parfois jusqu'à 75 centimes le litre. Quant au beurre, il était introuvable sur les marchés. Clandestinement on pouvait s'en procurer en le payant 1 ou 2 francs par demi-kg en plus du prix de la taxe.
Il aurait fallu des pénalités beaucoup plus sévères pour tous les contrevenants afin d'enrayer cet esprit de mercantilisme qui s'est surtout développé depuis 1917.
A partir de cette même année, le pétrole manque. Les bouges étant extrêmement rares, on ne peut guère travailler la nuit, faute d'éclairage.
Quelques pêcheurs sont plus favorisés, de temps en temps, ils trouvent en mer ou sur le rivage des bidons, des fûts de pétrole ou d'essence, voir des caisses de bougies provenant de navires coulés par les torpillages des sous-marins allemands et ils s'approprient indûment une partie de ces épaves.
Aucune plainte pour les restrictions concernant la viande fraîche, car notre population, essentiellement maritime, fait une grande consommation de poissons.
Allocations
La loi sur les allocations aux familles nécessiteuses des mobilisés fut bien accueillie. Cependant, en 1914, les commissions écartèrent trop de demandes justifiées et il y eut quelques mécontents.
Par la suite, elles se montrèrent plus généreuses, parfois même trop. On m'a cité une famille possédant plus de 60 000 francs de valeurs mobilières et qui percevait l'allocation militaire. remarquez que cette famille exploite une ferme qui lui a rapporté depuis le commencement de la guerre au moins 10 000 francs par an de bénéfices nets. Eh! conscience où es-tu?.
Travaux agricoles
Nos cultivateurs n'ont que légèrement souffert du manque de main-d'oeuvre, la commune étant très peuplée relativement à son étendue.
Pas de terres incultes, tout a été travaillé et fumé grâce au goémon très abondant sur nos côtes.
Le prix du bétail, des céréales, des pommes de terre et autres produits agricoles n'ayant cessé de s'élever progressivement, nos laboureurs sont parvenus à une forte aisance. Cette année plusieurs on vendu pour 20 ou 60 000 francs de pommes de terre. Un champ d'une trentaine d'ares à rapporté 2 600 francs à l'un de mes voisins (son fermage annuel est de 2 500 F et il cultive environ 9 ha).
On peut donc dire que nos paysans ont des bas de laine bien garnis; ils le prouvent d'ailleurs en achetant à l'envi : maisons, champs et fermes. Le fisc ne pouvant contrôler leurs bénéfices réels, ils ne paient aucune taxe sur des gains nets variant de 10 à 60 000 francs.
Paysans, mes amis, vous avez peiné, mais vous avez aussi récolté à plusieurs mains. Faites un bon usage de vos richesses et n'oubliez pas qu'il est temps de modérer vos prix.
Hopitaux
Les habitants de Ploubazlanec ont fourni aux hôpitaux temporaires de Paimpol pour les militaires qui s'y trouvaient en traitement un grand nombre de lits et d'objets de literie : couvertures, draps, etc.
Mobilisés
8 ou 900 habitants mobilisés. Sur ce nombre, 150 environ ont été l'objets de citations à l'ordre du jour; 8 ont obtenu la Médaille militaire et 2 la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur.
82 sont morts pour la France.
et 18 sont disparus.
École publique de garçons
Les élèves ont participé à de nombreuses oeuvres diverses : Journées organisées depuis 1914, Sou des écoliers des Côtes-du-Nord, Emprunts nationaus, Collecte de l'Or....
Moi-même, afin d'affermir le moral de la population et d'entretenir sa foi patriotique, j'ai fait depuis le début des hostilités 15 conférences publiques avec projections. Ces conférences étaient accompagnées de lectures, poésies, chants,etc.
Les résultats obtenus aux examens ont été supérieurs à ceux des années précédentes. En 1919, l'école publique a eu 10 élèves admis au certificat d'études (59 pour tout le canton); l'école privée n'en a eu aucun.
Les deux adjoints ont été remplacés par diverses intérimaires, mais ces changements, trop nombreux, ont nui aux progrès des élèves.
L'un des adjoints, Mr Héry, a été fait prisonnier à Maubeuge. Interné en Allemagne, il a été rapatrié après l'armistice.
L'autre, Mr Le Solleuz, lieutenant d'administration, a dû par suite de blessure, subir l'amputation d'un pied. Il a été promu Chevalier de la Légion d'Honneur.
Et pour terminer cet exposé, qu'il me soit permis de rendre un pieux hommage à la mémoire de mon fils, élève d'École Normale, décoré de la Croix de Guerre, tombé au Champ d'Honneur au Mont-Haut (Champagne) le 31 mai 1917.
Ploubazlanec, le 10 août 1919
Le Directeur de l'école de garçons
Y. Le Roux
Sources
- Archives départementales 22, Cote 1 T 402 = Notices communales sur la guerre 1914-1918 (68 communes représentées), 1919
--Jylaigre (discussion) 23 janvier 2014 à 15:37 (CET)